L'enfant de la falaise a bu. Il est là à côté de Nora, prêt à
dormir de son premier sommeil. La lumière s'éteint, le soleil s'éclipse
derrière la mer.
Nora,
nue comme la roche donne sa robe au bébé. Emmailloté, elle le pose dans une
cavité, à l'écart, et se laisse dormir. Elle respire à peine, la masse de ses
cheveux recouvre son visage. Son enfant vit.
L'homme
ne la voit pas, se penche sur le sol, fronce les yeux, cherche de toute part,
tâtant la pierre de sa canne. La pénombre lui brouille la vue. Il passe devant
elle. L'air est opaque. Impossible de parler. Il n'entend pas. L'onde se
déverse. La falaise se referme sur le cri inaudible dans la bourrasque, dans l'ombre
minuscule que Nora déplace.
Elle
se réveille. Levant la paupière, elle le voit l'homme et sa canne blanche
sonder la roche.
L'homme
se baisse, prend l'enfant, l'enserre de ses bras. Il referme sa spirale et ne
voit pas s'écheveler la tornade déchirée
par la guerre. Il reprend son chemin les yeux rivés sur ses mains.
Nora
reste encastrée dans sa pierre, incapable de se lever. Prostrée, elle ne peut
pas, n'arrive pas. Elle pourrait courir pour le rattraper mais rien n'est
possible. Nora tombe. Des milliards de ruptures résonnent et ouvrent sa plongée
dans l'ombre. Elle explose en minuscule. Les cris, le silence, tout se mélange.
Les
hommes du large prennent corps. La lumière du matin agrippe la gorge du texte
et traverse la page dans une ultime transition de phase. La noyade traverse la
plaine.
Déglutir
l'air. La vapeur d'eau déferle le long des surfaces intérieures, comme solide.
L'onde de choc se prend au soubresaut.
A l'instant, à l'écriture d'un instant de bascule. Nora est la mémoire. L'autre
dimension humaine.
Ils
sont nombreux à se noyer. Et pourtant les rumeurs disent qu'un corps nu a été
retrouvé au bout de la falaise. D'autres ajoutent qu'une cavité de pierre était
remplie de pleurs. Il paraît que l'eau ne disparaît jamais, elle ne peut s'évaporer
même quand le soleil frappe.
La mer gronde le mentir vrai. Elle n'a peur ni des mirages, ni de
l'ombre des rivières, ni du vent, ni de la folie. Elle reste dans les pattes du
printemps. Méfie-toi! Elle parle ! Entends son cri avant qu'elle ne se retourne
d'un coup d'aile.
La
vie galope encore, dans les battements de l'air et de l'eau des morts.
Annexe 1 : reste d'atelier
d'écriture en preuve de redite
1)
Prends 20 mots au hasard, les 20 premiers qui te viennent quand tu ne cherches
pas.
Eau, glissement, horizon, chatouille, ongle, pied, région, langue,
souvenirs, passage, rugissement, décollage, furie, colère, jambe, soleil, poil,
rouge, rire, orage.
2
) Construis des phrases avec, des liens qui glissent et emphrasent l'ensemble.
Car Félix ne peut s'enterrer vivant. Il a besoin d'y croire. Sinon, tout peut
s'effondrer. Le monde, le récit, les gens qui lisent, et la mer droit devant,
qui nous parle.
Au fond de l'eau un glissement encrasse l'horizon,
se déplace sur toute la surface de la mer et vient chatouiller nos ongles
de pied en une région que la langue a du mal à décrire.
Seul souvenir possible qui puisse permettre le passage du silence
au rugissement. Seule cargaison d'irréel dans le décollage du
corps, dans la furie, dans la colère. Seule la force d'une jambe
qui s'élance plus fort que le soleil, peut relever le poil et les
haines. Le réveil rouge tirera des rires de l'orage. Icare
peut encore exploser le récit.
3)
Reprends tous les mots à l'envers. Ca ne suffit pas de faire l'oracle. Le
lecteur a mieux à faire que d'anticiper sur un récit qui commence tout juste à
se surestimer. Reprends tous les mots à l'envers et dis-nous vraiment ce qu'il
se passe.
L'orage n'a pas encore explosé. Les nuages se
préparent dans un rire rouge, et accrochent les poils du
soleil de la lune. Félix prend ses jambes à son cou. Il sent
que la colère lui fera faire n'importe quoi. La furie l'a déjà
envoyé dans des endroits moches, des craquages de membres, des bagarres
nauséabondes. Les villageois se méfient de lui et de ses colères. Et pourtant,
la voilà qui monte, prépare un décollage de cris qui ressemblent plus à
des mugissements de taureau, des passages de rage. Il en tient
des souvenirs que les langues de la région ont transformés
en récit. La folie dit-on. Alors Félix marche, court dans les rues du village.
Il avance sans savoir où il va, quitte l'asphalte, prend un chemin de terre. Ses
pieds buttent sur des pierres énormes. Il se casse les ongles,
tombe et reprend sa course. Le vent furieux lui chatouille les poumons.
Il monte, monte le chemin de La Féroce, jusqu'au sommet de la falaise, jusqu'à
voir l'horizon et le glissement de l'eau qui s'y jette.
4)
Ici tout est possible. Tous les textes sont capables de scruter l'horizon. Même
ton pire ennemi a son mot à dire. Et s'il le fait, garde-le pour fil conducteur
de tes colères, ce sera mieux que de ne pas lui laisser de place. Tout s'écrit
à plusieurs quand on cherche. On pourrait même tout recommencer.
ANNEXE 2 : Récoltage de témoignages
qui ont permis d'écrire ce récit, reconstituant le plus fidèlement la légende à
ses origines.
« Je me souviens que ce Félix allait
peut-être nous sauver la vie, nous habitants du village. Mais pourquoi je m'en
souviens vingt ans plus tard ? Pourquoi ce point précis de l'histoire du
pays. Pourquoi j'ai envie de vous raconter ça ?
Je me souviens de ce qu'ils disaient là-bas... Sur tous les canaux
ils disaient la même chose. Ils disaient qu'il fallait passer la frontière, et
que de l'autre côté, on ne sait pas. Il paraît qu'après la vie, le beau temps.
C'est traverser qui repose. Passer là où il n'y a plus d'heure ni de réveil.
A la télé on ne voit que des fantômes, des révoltes de fantômes.
Il suffit de traverser la crête des arbres.
Il paraît que c'est la fièvre qui fait divaguer. Ici, c'est
là-bas, la guerre, et tout le monde se tait.
Félix
n'est sûrement pas le fils de la mère Polache. Cette femme l'a élevé, elle l'a
nourri, elle a fait ce qu'elle a pu pour qu'il ait tout ce dont un enfant a
besoin pour vivre. Mais rien ne prouve qu'elle soit vraiment. Alors que la mère
Polache est morte, Félix doit bien se retrouver quelque part.
Je
me souviens que quand il est rentré au village, Félix n'y voyait plus. C'est ce
jour-là qu'il a perdu la vue. On s'est cotisé pour lui payer une canne blanche.
Je
me souviens ne pas avoir compris ce qui se passait le jour de la tempête. Il
faisait noir. Tous les volets refermés. Le noir de l'hiver, quand
habituellement on cherche à se réchauffer sans regarder ce qui se trame dans le
ciel. Je me souviens qu'il ne fallait pas parler de ce qui se passait de
l'autre côté du Mont Corchu. Je me souviens avoir pleuré en entendant les cris
des enfants. Je ne comprenais pas leur langue, ils criaient des hurlements.
Pourtant,
ce jour-là, il fallait qu'un homme se lève. Il en fallait un. Et personne
n'osait le faire. Ce jour-là, comme beaucoup, j'ai pris peur et me suis
rassurée sous ma couette, enfilant mes boules Quies. Je savais comme tous, que
demain ne sera jamais le même. Une histoire d'aurore boréale en plein ciel
tempéré. Je me souviens qu'il fallait se taire.
Je me souviens ne pas avoir compris ce qui se passait le jour de
la tempête. Il faisait noir. Tous les volets refermés. Le noir de l'hiver,
quand habituellement on cherche à se réchauffer sans regarder ce qui se trame
dans le ciel. Je me souviens qu'il ne fallait pas parler de ce qui se passait
de l'autre côté du Mont Corchu. Je me souviens avoir pleuré en entendant les
cris des enfants. Je ne comprenais pas leur langue, ils criaient des
hurlements.
Pourtant, ce jour-là, il fallait qu'un homme se lève. Il en
fallait un. Et personne n'osait le faire. Ce jour-là, j'ai pris mon courage à
deux mains. La nuit était terriblement noire, je n'y voyais rien. Alors j'ai
décidé d'affronter le temps. Je savais comme tous, que demain ne sera jamais le
même. Une histoire d'aurore boréale en plein ciel tempéré. Je me souviens que
j'ai bravé le ciel, et j'ai décidé de suivre le chemin, en direction des
hurlements.