Le paysage devient croisement de surfaces
planes dans un espace sphérique. Rencontres, épaves, retenues, oublis. Les
bruits parasites que Lun et Lautr produisent à chaque effort fait pour se
retrouver, ouvrent une nouvelle ramification. Dans le flou de la mer, Lautr furie.
Il est des étoiles qui n'ont jamais cru à la
Terre. Elles se promènent au-dessus du tout et se taisent. Lun sent la gifle.
Celle qui terrorise. Son corps immobile s'étonne de cette chose improbable
qu'il fait naître. Il serre les fesses, rayonne plus que
de raison et s'essouffle.
L'onde s'éloigne, Lun plonge la tête et découd
l'air pour pouvoir respirer. Au fil de sa vie, détricotée jusqu'à la trame, il
se découvre marchant dans le vide à cheval sur ses colères.
Le ciment du vieux monde se craquelle.
L'Entre-deux ne peut disparaitre. La
transformation fait loupe. Focale sur la mer. Les bords se rejoignent,
engendrent de nouvelles perturbations sans mouvement de marée. Le ciel et la
terre fondent sur plusieurs points et forment une sphère.
Lun ronge la corde qui le tient figé alors qu'au-dessus
de sa tête, Lautr raisonne. Ses émanations descendent en odeurs qui s'évaporent
et repartent en courant vers la catastrophe. Un trouble apparaît à tous les
points du lieu qui se referment. Des petites boucles d'espace et de temps
fusionnent.
En sautant à l'envers, au revers du fossé, Lun
loupe la marche à reculons et s'embue dans les lèvres de l'autre. Les yeux
pleins de fausses alertes, il ne voit pas qu'il se rapproche de la région
courbée, celle du chaos naissant.
Une voix déborde.
C'est l'heure de la mise à mot.
Le monde est impossible à parler, cette voix reste
irréelle. Rien du paysage ne la reçoit. Pas d'oreille, pas de front. Les mots se
disent, s'étendent et dérégulent sans réceptacle apparent.
Tourbillons. La turbulence ébranle dans
l'étalement des trous. Eclat de la matière qui crie par la surface. Gouffre
noir. Glissement de langue, distorsion.
Cette parole s'essaie dans les diffractions et
les divergences. Elle fait vibrer l'espace dans une densité de charge encore
jamais atteinte. Chauffée à des températures extrêmes, elle émet un rayonnement
dans le spectre du visible et devient corps noir, objet idéal dont l'absorption
et l'émission s'équilibrent.
La parole. Le monde entier peut en entendre l'écho. Elle affaisse,
emporte avec elle toutes les lois physiques jusque-là admises. Elle crée autour
de Lun et Lautr une nasse vibrante qui tourne sur elle en produisant des
interférences.
Une poche de temps à l'intérieur du temps.
Décompte à rebours - en absence de fusion, en
espoir. En réalisant à tout bout de champs l'énormité du monde, en claquant
l'ivresse. En cherchant la claque au
bout de la main. Au retour de bâton. En glissant le doigt dans l'ornière, et le
vice dans l'Entre-deux qui gronde. En fusillant les morts.
Lun se rapproche de Lautr. Il touche le ciel,
s'expose en nudité et remonte les courants ascendants qui le portent jusqu'à
inverser sa lèvre retroussée.
Il déglutit.
Dans l'expiration, un volcan sort de
sa gorge. Son cœur bouge, accroché à sa cage. Plongée vertigineuse dans un
boyau chaud. Entonnoir à entrailles. Respiration. Le fluide oscille. Les
gouttes de sueur roulent. La main se libère. Le long nerf se filamente et grise
les muscles. Le nerf râle, roule son désir - crie par intermittences,
pulsations électriques à l'intérieur de la chair. Le nerf à fleur peau - plie
le bras. Révolte au présent, au grand large, à la force des rames, dans le
noir. Les mots enfin libres relient.
La parole prend la forme longue de
l'espoir.
Happée par le sol, elle n'a plus de sens. Elle
n'est que mouvement. Dans son sillage,
de grosses volutes contiennent des petites volutes qui y puisent leur vitesse.
Ces petites volutes en contiennent de plus petites. Ainsi de suite jusqu'à la
viscosité du sens.
Quand la
mise à mot s'impose, les coups de pied dans la vie pèlent la chair.
Le verbe précipité touche aussi brutalement le début et la fin de l'histoire.