SAISON 2



Lun et Lautr

05/07/2020

Ce texte est expérimental, il cherche la limite. Le lecteur est une des variables de cette expérience. Sa fonction est la même que celle de la goutte d'eau qui tombant sur le sol, se retrouve à l'endroit exact de la ligne de partage des eaux. Elle peut tout autant basculer dans un bassin versant que dans l'autre. La trajectoire du...

--------------------------------- limite de l'audible -------------------------------

Curseur amovible à placer dans le texte en fonction de l'expérience de lecture




Turbulence primaire

Au commencement, deux corps ailés s'articulent autour d'un noyau à la densité de plomb. Deux corps de plumes dont le plus mystérieux est leur reproduction. Ils s'ignorent, bien qu'articulés. Chacun suit sa route.

A cette époque éloignée, les êtres vivant dans la crique de l'Entre-deux ne savent pas parler, ils ne savent que manger et dormir. Pourtant, ils sentent que cette chose ailée et vibrante, cette forme de vie étonnante qui plane au-dessus d'eux, n'est pas une forme usuelle. Elle ne répond pas aux mêmes lois.

A cette époque les dieux sévissent et exigent. Alors, pour repousser la perturbation de ce réel improbable, les êtres s'unissent et posent la forme ailée comme offrande aux dieux sur l'autel du village.

C'est alors que la forme ailée perd sa superbe. Ses yeux se dispersent dans toute l'assemblée. Laissée pour morte sur l'autel des sacrifices, la chose voit les lèvres de sa bouche se coller l'une sur l'autre. Perdant l'usage de sa langue, la chair se rétracte sur ses paupières. Concentrée sur son noyau dur jusqu'à devenir suffisamment dense, elle s'extrait de la terre.

A ce moment les êtres ressentent la première salve de doutes. La matière atteint un degré de violence suffisant pour que le rayonnement puisse être perçu à quelques années lumières.

Alors que tout le monde pense la forme morte, elle se déchire. Puis s'échappe en flottant. Articulée autour de son noyau, elle se perd au fond du ciel, à la limite stratosphérique où la vie n'est plus que phénomène vibratoire.

Depuis ce temps, plus rien ne peut être séparé par le temps où l'espace. Tout est lié dans l'Entre-deux. Les textes anciens relatent la chose en la nommant brisure.

Cette turbulence primaire est un espace et un temps qui existent et se cernent par à coup. Elle siège dans les replis du paysage, au sommet et au fond. Infiniment petite, infiniment grande, devant nous, à nos pieds.

Big-bang originel, naissance de l'étrangeté multipliée à l'infini. On la croise à tous moments. Elle existe partout, là où on ne l'attend pas. Habituellement personne ne s'en rend compte. Elle est prise pour du bruit, ou se laisse classer dans les erreurs. Mais la déchirure première n'est pas autre chose que l'éclosion de cette forme dans laquelle s'est un jour engouffré le doute, puis l'oubli. D'aucun l'appelle pensée mais certains réfutent cette idée.

L'Entre-deux est cet espace et ce temps d'émergence. Point où la matière passe un état de seuil alors que tout semble stable et régulier.

L'entre-deux est ce reste de monde dans lequel prolifère tout ce qui excède la compréhension. Il fait passer la turbulence du statut d'anomalie à celui de norme. Sa texture ne passe pas, n'est pas encore passée, elle est en cours, pour une durée encore impossible à évaluer.

Face à lui, les conteurs racontent.

Cette histoire n'est pas résolue.

La terre s'arc-boute et touche par endroit le fond du ciel. L'espace du
sol s'engouffre au-dessous d'une plaie qui sépare le début de la fin.


Quel degré d'Entre-deux un esprit peut-il supporter sans s'effondrer ? Quel degré d'indistinction et de confusion entre le paysage et les êtres ?


Des brisures ressenties sur la surface de la terre répercutent
les paroles perdues. Répétées par milliards elles se diffractent sur le
noyau, pour revenir en matière, fracasser les oreilles.


Certains pans de monde ne sont pas. Les turbulences y prennent une place colossale, ouvrent les portes de l'équivoque. Les humains ne savent comment interagir avec, puisqu'elles n'ont de cesse de déborder tous les cadres et de faire des choses auxquelles ils ne s'attendent pas.





Première captation de l'entre-deux

Instant t = -1,5 grossissement X10 000




L'un et l'autre


Lun est replié. Une corde lie ses poignets. Il ne peut pas se déplacer. La corde entrave. Il regarde le fond. Lun est prisonnier. Ses liens lui font mal. Seul dans un espace restreint où le vent passe, replié sur la corde qui le lie dans ce lieu désaffecté à l'odeur de cave. Le vent est froid, pourtant Lun ne sent rien. Cave sans porte, sans fenêtre et sans mur.

Lautr erre au-dessus de Lun. Double échappé du prisonnier, ses intentions sont floues. Lautr vogue. Il ondule avec le vide, dans une forme insoupçonnée pour qui cherche à être stable. Il lui arrive d'être visible à l'oeil nu, mais seulement dans les conditions où l'oeil est obligé de se déshabituer.

Lautr est multiple. Au moment de transition où le jour devient nuit, Lautr peut être présent à plusieurs points du lieu. Lun et Lautr font énigme. Ils vivent dans des mondes où tout diverge.

Séparés par l'Entre-deux, ils sont uniques. Lun s'étrangle, Lautr s'étouffe. Lun plie l'échine, les poignets coupés par une corde. Lautr creuse le ciel avec ses bras en formant des ondes luminescentes. Lun crispe ses doigts. L'autre entraille le vent.

Ils cherchent un seuil, une transition, un moyen de faire tout : un tout tout autre, un tout explosif. A la recherche de frontières, là où personne ne les voit.

Ils sont seuls et bloqués. Infiniment bloqués dans l'Entre-deux, à l'endroit des erreurs et des ratures, à l'endroit indistinct où les yeux se lèvent et captent la déchirure.

Bien obligée d'admettre que ne sachant où il se trouvent l'un par rapport à l'autre, toute tentative de localisation crée une marge d'incertitude qui rend toute construction d'hypothèse réfutable.

Pour exister, ils doivent s'extirper.




Fonction temporelle F(t)

Une transformation est appliquée sur le paysage narré. La variable « t » devient variable aléatoire et perd sa relation linéaire. L'instant « t » est indéterminé. Il est posé comme une variable de lecture. Personne ne peut décider si cette variable est juste ou non. Elle dépend de l'espace de lecture engendré.

Des sauts dans le temps, des paliers de transformation (comme un passage de saison, de lune ou de ménopause) peuvent intervenir n'importe quand.

La variable est remise au hasard à chaque fois qu'elle est posée. Ce qui oblige, lorsque le récit se complexifie, à construire un programme spécifique pour suivre le mouvement de l'ensemble des autres variables selon les valeurs de « t ».

La scène décrite quelques instants plus tôt est déjà autre. En un temps minuscule, elle peut subir une transformation qui va perturber le fil fictif.

Le temps et l'espace étant fusionnels, les minutes prennent le même chemin. Ce qui s'est vécu en une page, prend la dimension d'une seconde et vient ouvrir une poche à l'intérieur d'une phrase qui semblait simple.




Traduction approximative

Dans un temps primaire, associé au big-bang, une forme a émergé du magma dans lequel était plongés des êtres vivants. Ces êtres n'étaient pas considérés comme humains car ils ne parlaient pas. Vivant le monde à travers les formes agissantes qu'ils percevaient au fur et à mesure de leurs déplacements ils se nourrissaient. Le paysage n'était pas dissocié de leur être.

Les milliers de récits émergés de ce big-bang originels ont tenté de résoudre leur énigme.

Mais avant toute chose, peut-être faut-il que naisse la chose écrite.




Naissance de la narratrice



Eclosion. Une tête passe par un trou. Torsions du cou. Un être ouvre, épand, éclate la contraction. Le dérangement s'écoule de la peau, dérégule la langue et les viscosités du parler.

Ici, les êtres n'ont pas d'existence réelle mais concernent tout ce qui existe. Ils ouvrent des rayons d'action. L'être est ce paysage qui se brouille à une vitesse épaississante. Tendant son bras vers l'horizon, il se fourvoie. Cherchant à se rétablir, il s'opacifie.

Des mains cherchent dans le sable, va et vient sur la surface. Le frottement des mains et du sable pose le réel : rouge et fragile. Vertige. Dans la génuflexion, les cartilages se courbent vers le sol. Dans l'ébranlement, ils vibrent et prennent part à la réverbération de l'air sur les muqueuses.

Emergence minuscule : naissance. Changement de rythme ! Impact glouton. La matière. Elle est combat. Enflée sur sa décision. Sournoise. En pleine croissance.

Hier s'éloigne. La chose grandit. Son énormité sort. Minuscule. Ressenti mesurable pour un observateur extérieur. Elle exagère l'air qu'elle perturbe.

Bien qu'aucun de ses membres ne repose sur une matière identifiable, la forme se met en mouvement et raconte le monde à son image : vibratoire et parcellaire, endormie par intermittence, sans déviation violente.

L'histoire est suffisamment mouvante pour que cette narratrice qui naît tout juste soit à même de l'épaissir.

Résurgence de la chose ailée.


Focale

L'exposition d'une première focale permet d'identifier les coordonnées x et y. x étant par exemple, la direction du soleil qui pointe à l'horizon, y le soleil à son zénith. La mer étant considérée comme plate à l'instant t=0. La narration commence.

Si on le veut, la narration peut s'inverser en ramifications, ouvrant des alternatives parallèles au récit. Des boucles de rétroaction peuvent complexifier les situations simples que l'on pense trouver.







Apparition de la brèche




Au temps « t » où la lune se met à glisser au bord de l'horizon, apparaît une brèche. Silence. La nuit tombe. Cette brèche, c'est le mystère de la matière étirée par l'intérieur. A son point de rupture se forme le trou. Turbulences. Les trombes de pluie éclatent et avalent des morceaux du ciel.

Lun s'accroche à Lautr au fur et à mesure des révolutions terrestres. Il dort, la paume tournée vers le ciel. L'ombre de Lautr passe par la brèche, se réfracte en avancées régulières. Lun rêve, mais son rêve reste en bordure de cils. Lautr erre au-dessus de la terre au milieu de rien. Des boucles de temps se répètent à l'infini. Lun rêve qu'il respire. Derrière ses paupières, l'univers malaxe. L'air agit, molécules lâchées. L'air s'infiltre dans chacun des poumons et gronde. A tel point qu'il ronfle, à tel point qu'il respire. 

Pourtant le vent dégouline. Le soir glisse sur le sable, racle la plaine de l'Entre-deux, décroche le vent, ouvre la lenteur. Tout est possible. Tout est désordre. La déchirure, la courbure de l'espace. Tout se focalise sur le flou. L'instabilité cherche, s'effrite, disparaît, s'amoindrit puis éclate pour trouver une autre forme. Lautr s'engouffre dans la brèche.

Un éclair. La déchirure brasse et broie le désordre. Elle trace une ligne dans laquelle passent les corps. Une frontière. Le vent surgit et rebondit mille fois. Le sable glisse et passe de Lun à Lautr sans les réunir. La mer, le vent, tout se coupe en deux laissant de chaque côté, des filaments visibles par intermittences. Alors que le soleil se couche, le paysage se déchire aussi simplement qu'une feuille blanche.



Le problème d'écriture

Le récit est fonction de l'ensemble des problèmes qu'il tente de résoudre. L'histoire se laisse guider par le hasard. Elle se focalise sur ses erreurs. Ce type d'histoire prend en compte les paramètres essentiels à tout déploiement de système non linéaire : l'instabilité quand elle se cherche, l'émotion de la voir disparaître, s'amoindrir alors qu'on y met de l'espoir.

Des questions découlent du problème. Chacune des questions dépend du texte qui sera ou non capable d'improviser avec les déformations secondaires, les trous du monde. Comment amplifier l'erreur ? Comment la donner à voir ? Comment passer le pas au-dessus du précipice, trouver la déchirure, le lieu de déchirure qui génère toutes les autres ?

Les limites n'ont plus de frontière.

Problème n°1 : comment continuer à écrire dans les méandres des équations de matière, avec des lieux de compressions qui rendent le paysage faux à qui pense le voir ? Problème concomitant : comment accepter les turbulences, les ramifications, et les indéterminations ?

Ce type éclaté trouve une autre forme de régularité qui s'appuie sur les visages des lecteurs qui ne comprennent pas. Il permet de mettre le doigt sur un monde, un rapport au monde, celui qui s'efface dès qu'on pense le saisir.






Naissance du lecteur





De l'un ou de l'autre personne ne sait qui il est. Les deux sont et se cherchent dans les murs. Ca happe le temps. Il fait froid. Une ramification prend racine entre deux rails.

Du côté noir, des riens s'élèvent et maillent le paysage. Des hommes en errance éparpillées. A cet endroit de frontière, leurs émergences articulent les chemins et partagent l'espace par intermittences. Certains traversent une paroi. Leurs corps devenus ondes interfèrent, annulant ou amplifiant l'intensité de leurs membres par mouvements saccadés. Ces hommes dont les dates de naissance meurent entre deux parallèles avancent à une vitesse qu'aucune observation ne peut ralentir. Ils se dirigent tous vers cet endroit du réel où les rails se rejoignent. Ici règne la loi du probable.

L'espace s'ouvre et dégage la sueur. Le mouvement inquiet de la bouche et l'arrière-goût des idées s'accélèrent au rythme des dents qui tranchent. L'évidence s'émiette dans une parole qu'on pensait essentielle. Leurs voix s'expulsent à travers les murs. Bouches chargées de paroles, haleines d'oracles qui militent pour la délivrance du texte. Leurs besoins deviennent autrement signifiant par l'odeur qui se dégage, se dégoûte.


Pour une narratrice, les voix des autres sont intrusions, provoquent une chute. Elles arrachent. Accompagnées d'un cliquetis de langage, elles noient l'espace qui s'écoule entre le désastre et le texte.


Pourtant les voix font rebond, s'éloignent des formes d'où elles s'éjectent. Les voix agrandissent l'espace. Leur lente intrusion étonne le texte qui se trace.  S'ouvre une ligne droite qui n'existe que dans la courbe.



Un espace à trois dimensions peut se retrouver incurvé de telle manière que le ciel et la terre se rejoignent sur plusieurs points du paysage, formant une sphère ouverte. Il est possible de mettre la focale sur un point précis, une brèche, une ligne de faille, un défaut du soleil qui s'ovalise, une précision de l'horizon qui s'infléchit, une déformation de la fenêtre qui pendant un bref instant devient ronde, une lueur violette à travers un verre de bière. Les transformations les plus inacceptables sont revendiquées et insérées au fur et à mesure qu'elles s'imposent.

Ces variations temporelles et spatiales peuvent être périodiques se calant au début sur le cycle du soleil puis se multipliant à l'envi. Ces variations temporelles et spatiales peuvent être aléatoires. L'espace et le temps deviennent alors aussi mouvants qu'une molécule d'eau sur le point de s'évaporer.

Les conséquences d'une telle transformation sur le récit ne peut que perdre. Cela génère des rencontres, des épaves, des retenues, des oublis. Tout ce qui peut être considéré comme une erreur devient au-delà du bruit parasite produit, une ramification dans un espace-temps en transformation.




Mise à mot



Le paysage devient croisement de surfaces planes dans un espace sphérique. Rencontres, épaves, retenues, oublis. Les bruits parasites que Lun et Lautr produisent à chaque effort fait pour se retrouver, ouvrent une nouvelle ramification. Dans le flou de la mer, Lautr furie.

Il est des étoiles qui n'ont jamais cru à la Terre. Elles se promènent au-dessus du tout et se taisent. Lun sent la gifle. Celle qui terrorise. Son corps immobile s'étonne de cette chose improbable qu'il fait naître. Il serre les fesses, rayonne plus que de raison et s'essouffle.

L'onde s'éloigne, Lun plonge la tête et découd l'air pour pouvoir respirer. Au fil de sa vie, détricotée jusqu'à la trame, il se découvre marchant dans le vide à cheval sur ses colères.

Le ciment du vieux monde se craquelle.

L'Entre-deux ne peut disparaitre. La transformation fait loupe. Focale sur la mer. Les bords se rejoignent, engendrent de nouvelles perturbations sans mouvement de marée. Le ciel et la terre fondent sur plusieurs points et forment une sphère.

Lun ronge la corde qui le tient figé alors qu'au-dessus de sa tête, Lautr raisonne. Ses émanations descendent en odeurs qui s'évaporent et repartent en courant vers la catastrophe. Un trouble apparaît à tous les points du lieu qui se referment. Des petites boucles d'espace et de temps fusionnent.

En sautant à l'envers, au revers du fossé, Lun loupe la marche à reculons et s'embue dans les lèvres de l'autre. Les yeux pleins de fausses alertes, il ne voit pas qu'il se rapproche de la région courbée, celle du chaos naissant.

Une voix déborde.

C'est l'heure de la mise à mot.

Le monde est impossible à parler, cette voix reste irréelle. Rien du paysage ne la reçoit. Pas d'oreille, pas de front. Les mots se disent, s'étendent et dérégulent sans réceptacle apparent.

Tourbillons. La turbulence ébranle dans l'étalement des trous. Eclat de la matière qui crie par la surface. Gouffre noir. Glissement de langue, distorsion.

Cette parole s'essaie dans les diffractions et les divergences. Elle fait vibrer l'espace dans une densité de charge encore jamais atteinte. Chauffée à des températures extrêmes, elle émet un rayonnement dans le spectre du visible et devient corps noir, objet idéal dont l'absorption et l'émission s'équilibrent.

La parole. Le monde entier peut en entendre l'écho. Elle affaisse, emporte avec elle toutes les lois physiques jusque-là admises. Elle crée autour de Lun et Lautr une nasse vibrante qui tourne sur elle en produisant des interférences.

Une poche de temps à l'intérieur du temps.

Décompte à rebours - en absence de fusion, en espoir. En réalisant à tout bout de champs l'énormité du monde, en claquant l'ivresse. En cherchant la claque au bout de la main. Au retour de bâton. En glissant le doigt dans l'ornière, et le vice dans l'Entre-deux qui gronde. En fusillant les morts.

Lun se rapproche de Lautr. Il touche le ciel, s'expose en nudité et remonte les courants ascendants qui le portent jusqu'à inverser sa lèvre retroussée.

Il déglutit.

Dans l'expiration, un volcan sort de sa gorge. Son cœur bouge, accroché à sa cage. Plongée vertigineuse dans un boyau chaud. Entonnoir à entrailles. Respiration. Le fluide oscille. Les gouttes de sueur roulent. La main se libère. Le long nerf se filamente et grise les muscles. Le nerf râle, roule son désir - crie par intermittences, pulsations électriques à l'intérieur de la chair. Le nerf à fleur peau - plie le bras. Révolte au présent, au grand large, à la force des rames, dans le noir. Les mots enfin libres relient.


La parole prend la forme longue de l'espoir.

Happée par le sol, elle n'a plus de sens. Elle n'est que mouvement. Dans son sillage, de grosses volutes contiennent des petites volutes qui y puisent leur vitesse. Ces petites volutes en contiennent de plus petites. Ainsi de suite jusqu'à la viscosité du sens.



Quand la mise à mot s'impose, les coups de pied dans la vie pèlent la chair. Le verbe précipité touche aussi brutalement le début et la fin de l'histoire.





Atelier pliure du temps et de l'espace

  • Avec 8 pages A4, pliées en deux, faites un carnet puis allez dehors. Au bout de 10 minutes arrêtez-vous. Prenez une page de votre carnet au hasard. Sur la page de droite écrivez des bribes de lieux en cherchant les étrangetés installées depuis longtemps. Remplissez ainsi les autres doubles pages de votre carnet. Attention le tout ne doit pas durer plus d'une heure. (Sinon des drones vont venir vous rappeler à l'ordre.)
  • Allez dans la bibliothèque la plus proche (celle du quartier étant fermée, celle d'un voisin, celle d'un anonyme qui joue le jeu ou la vôtre quand tout le monde ferme sa porte). Prenez le cinquième livre de la cinquième étagère en partant par le haut. Ouvrez-le à la cinquième page et recopiez sur une feuille toutes les bribes de cette page qui accrochent votre regard. L'étrangeté étant une présence floue derrière vous.
  • Choisir dans votre carnet les 5 doubles pages qui peuvent se rassembler autour d'un noyau dur. Vous avez maintenant vos 5 doubles pages, des bribes d'un auteur. Avec tout ce matériau écrivez votre premier texte en utilisant le maximum de matière. Faites tenir ce texte sur un format paysage : format A3 ou A4 suivant le temps que vous avez devant-vous et la quantité d'envie de mots qui s'impose à vous. Votre premier texte posera la situation, il sera le référent spatial et temporel de votre livre.
  • Première variation : l'espace. Pliez votre feuille en accordéon.

Première pression de l'espace : compressez votre accordéon en fonction de la force de votre biceps gauche. Réécrivez le texte avec les parties visibles. Réitérez la pression au maximum pour voir ce qui reste de mots. N'hésitez pas à transformer et réécrire dans les blancs. Cela constituera votre deuxième texte issu de la première pression à froid.

  • Deuxième variation : le temps.

Placez la flamme d'une bougie sous votre texte n°1. Dès que le feu prend dans votre texte soufflez suffisamment fort pour éteindre toutes les flammes. Suivant votre temps de réaction vous aurez sauvé plus ou moins de texte des flammes. Un trou noir se sera formé en son centre. De l'autre côté de la feuille, écrivez tout autour du trou noir. Puis si vous avez des souvenirs de flammes restés imprimés sur la rétine, écrivez autour. Si vous vous êtes brûlé les doigts, écrivez autour. Vous avez là du matériau pour écrire votre troisième texte.

  • Troisième variation : les conflits internes, multiplicité des sujets (Il est sûr que cette phase où les interactions sont nécessaires pour amener de la controverse est plus difficile à mener seul, mais faisons confiance en l'étrange complexité de l'humain : nous sommes plusieurs dans notre tête, tentons de donner la parole à chacun d'entre nous. Soyons en désaccord !)

Vous avez votre premier texte (ce qu'il en reste et le souvenir de ce qu'il était, puis le deuxième texte et enfin le troisième. Ces trois textes se font écho. Ils sont les bassins d'attraction dans lesquels peuvent tomber la goutte d'encre au bout de votre plume, mais pour le moment rien ne prédit la chute.

Disposez ces textes sur votre table, puis insérez entre les textes des feuilles blanches pour écrire dans l'Entre-deux. Faites lien, creusez des sillons, écrivez les relations qui se tissent, tissez des relations. Une fois les cinq intertextes écrits, sur une nouvelle feuille vous pouvez enfin parler de ce que vous avez écrit, sachant maintenant que le sens se cristallise, les choses vous parlent (vous pouvez soit vous enregistrer, soit improviser à votre fenêtre à 20h). Ce neuvième texte est essentiel, il vous aidera à noyauter le livre.

  • Phase de prolifération

Maintenant que vous êtes auteur de votre livre, écrivez contre, ou encore le contraire de chaque texte de l'Entre-Deux. Tant qu'il vous reste de l'insatisfaction allez-y, mais faites attention, vous n'avez pas beaucoup de temps. Impossible de prédire le nombre de feuilles que vous êtes en train de remplir. Impossible de savoir le temps que vous y mettez. (Nous avons perdu la notion de temps et d'espace depuis que nous jouons à les perturber). Seule l'étrangeté émergeante du tout est capable d'en prendre la mesure. (C'est le moment où l'atelier peut déborder, surtout quand on est seul.)

  • A un moment, vous pouvez décider que tout ce que vous avez écrit est votre livre. Vous avez même de quoi écrire un avertissement, une quatrième de couverture. Organisez les pages ou vos liens hypertextes (un bâton de colle sera nécessaire). L'armature émerge. Vous pouvez maintenant soit continuer à l'improviser, soit reprendre tout à l'envers. Envoyez votre tapuscrit à un éditeur sous format pdf.
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